En 1850, Amable Dionne fait construire un manoir pour son fils Paschal-Amable, selon les plans de l'architecte Charles Baillargé. À côté du moulin à farine, dont la roue à godets tourne toujours, s'élève cette magnifique villa victorienne en bois, au toit percé de cinq lucarnes à l'avant, flanquée de deux rotondes et entourée d'une galerie ornée de dentelures. On pénètre dans le hall d'entrée sur le bout des pieds, comme si la vie entre ces murs centenaires ne s'était jamais arrêtée.

 

En costume d'époque, la seigneuresse-guide, Pierrette Chouinard, s'attable dans la cuisine pour me raconter la vie colorée des Dionne. Elle ouvre le tiroir du buffet à deux corps où, le jour, on couche le bébé, puis se dirige vers la chambre de la servante. « Vous voyez ce crochet posé à l'intérieur ? dit-elle, les yeux pétillants de malice. Il fallait bien que la bonne se protège des intrusions nocturnes du jeune et impétueux seigneur.»

 

Nonnnn ! J'apprends sans rien avoir demandé que Paschal-Amable était volage. Même si sa femme, Louise Boisseau, était éblouissante avec sa chevelure andalouse, le seigneur courait la galipote et troussait les filles de ses censitaires. « Il jouait au poker avec ceux-ci, au grand dam du curé Têtu, qui l'interdisait », ajoute ma guide en me montrant dans le salon la table de jeu qui se referme en un tour de main, les cartes et les écus restant prisonniers à l'intérieur.

 

Violoniste et poète à ses heures, Paschal-Amable est un réel boute-en-train. Tant pis si ses affaires périclitent. Pour l'empêcher de dilapider sa fortune, sa famille le fait interdire pour prodigalité. Lorsqu'il meurt de tuberculose, à 43 ans, ses filles doivent vendre ses meubles à l'encan pour rembourser ses dettes.

 

Cet homme dépensier nourrissait une insatiable passion pour l'aménagement paysager. Il n'est pas étonnant que les jeunes mariés du 21e siècle se fassent photographier dans son jardin français ou dans sa roseraie. Bercés par les chutes, ils descendent ensuite au moulin, où, sous leurs yeux, le meunier moud son grain sur des meules de pierre. Comme dans le bon vieux temps !

À l'île d'Orléans, le manoir Mauvide-Genest

 

Un saut dans le temps et nous voilà en Nouvelle-France. Une odeur d'épices flotte dans l'air. Jean Mauvide fait aussi le commerce du café, du tabac et du rhum avec les Antilles. Engagé comme chirurgien naval sous Louis XV, le jeune Français a abandonné sa charge, en 1733, pour les beaux yeux de Marie-Anne Genest, la fille d'un forgeron fortuné. Il vient d'acheter la moitié de la seigneurie de l'Île-d'Orléans quand éclate la guerre de Sept Ans. Dépêché à Rivière-Ouelle, il court d'un champ de bataille à l'autre pour y soigner les blessés, pendant que, sous ses yeux, la Côte-du-Sud flambe.

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