LES MANOIRS (suite)

 

À Saint-Denis-de-Kamouraska, la maison Chapais

 

Dévouées et vertueuses, telles étaient les épouses des seigneurs dans nos livres d'histoire. D'où ma surprise en apprenant que la seigneuresse Georgina Dionne-Chapais roulait à bride abattue de Saint-Denis-de-la-Bouteillerie à Kamouraska, seule dans sa voiture tirée par un percheron. Les mauvaises langues insinuent qu'en hiver sa main gantée tenait une flasque de brandy. C'est donc fort intriguée que je me suis pointée à la maison Chapais, à quelques kilomètres de Kamouraska.

 

Tout à côté de l'église, cette maison blanche de trois niveaux, entourée de galeries et joliment clôturée, a été bâtie sur le roc, en 1834, par l'un des pères de la Confédération, Jean-Charles Chapais. Son fils, le tout aussi célèbre historien Thomas Chapais (ou son fantôme, le comédien Maxime Pelletier), m'accueille dans son bureau. Il m'invite à m'asseoir dans le fauteuil de ministre qu'occupait autrefois son père au parlement de Québec. « Tout ce qui est ici lui appartenait, me dit-il d'un ton cérémonieux. Sauf le secrétaire, qui est mien. J'ai aussi fait construire une bibliothèque, où j'ai écrit mon Histoire du Canada.»

 

Thomas m'entraîne ensuite dans le boudoir de Georgina. Devant son récamier, il me confirme que la seigneuresse était rebelle et qu'elle lisait des romans interdits par le clergé. La petite histoire raconte que le célèbre abbé Charles Chiniquy aurait attenté à sa pudeur. Il aurait aussi engrossé sa sœur aînée, Olympe, qui aurait caché sa honte dans un couvent, où elle a effectivement fini ses jours. Là-dessus, mon guide se montre évasif. Sans doute veut-il protéger l'honneur de la famille ? Le biographe de Chiniquy, Marcel Trudel, est plus précis : "Le père de Georgina a bel et bien reproché à l'abbé d'avoir eu une conduite immorale envers ses filles. Mais je n'ai pas pu en savoir plus, car aux Archives de l'archidiocèse de Québec, l'accès à son dossier m'a été refusé."

 

Quoi qu'il en soit, c'est ce même abbé Chiniquy - que Rome excommuniera 10 ans plus tard pour insubordination - qui a béni le mariage de Georgina avec Jean-Charles Chapais.

 

À Saint-Roch-des-Aulnaies, le manoir Dionne

 

Dans son portrait signé du célèbre peintre Théophile Hamel et daté de 1841, Amable Dionne pose au grand seigneur. L'homme le plus riche de la Côte-du-Sud n'est pourtant pas sorti de la cuisse de Jupiter. Fils d'un cultivateur, il a trimé dur pour se tailler une place dans la belle société. Ses goélettes, qui remontent jusqu'à Québec, sont chargées de bois, de poisson et de céréales. Son beurre est particulièrement recherché, en raison du foin salé que ses vaches broutent tout l'été sur les battures du Saint-Laurent.

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